![]() | Nationalité américaine Née en 1935 à New York (États-Unis) Vit et travaille à San Diego (États-Unis) | Biographie Bibliographie Liste expositions |
Eleanor Antin est une des artistes pionnières de l'art vidéo et conceptuel. Elle réalise des œuvres narratives par le biais de différents supports : la photographie, la vidéo, le film, la performance et l'installation.
Au milieu des années 1950, elle étudie le théâtre à la Tamara Daykarhanova School for Stage de New York et la littérature au College of the City. Puis, elle s'installe en Californie à partir des années 1960. Depuis 1979, elle enseigne les arts visuels à l'Université de Californie de San Diego.
Eleanor Antin fait partie des premières femmes artiste à utiliser la vidéo comme pratique artistique, à l'instar, entre autres, de Joan Jonas, Shigeko Kubota ou Ulrike Rosenbach. Si ces artistes ont souffert d'un manque de visibilité par rapport à des artistes masculins tels que Nam June Paik, Peter Campus et Bill Viola, leur rôle a toutefois été important dans le développement de l' histoire de la vidéo.
Eleanor Antin utilise le déguisement et la performance pour amener à une critique de la représentation du corps féminin. A partir des années 1970, elle réalise des performances filmées et photographiées comportant un ensemble de personnages archétypaux et récurrents à travers lesquels elle explore la notion d'autoportrait et étudie la construction de l'identité.
Ainsi à la manière de Marcel Duchamp travesti en Rrose Sélavy, Eleanor Antin crée et interprète des personnages auxquels elle donne une histoire et un contexte social. Le personnage du Roi de Solana Beach lui a été inspiré par un portrait de Charles 1er, roi d'Angleterre, par Anthony Van Dyck. Le personnage d' Eleanora Antinova est danseuse dans le ballet de Serge Diaghilev; et pour Eleanor l'Infirmière, elle s'est inspirée de Florence Nightingale, célèbre et courageuse infirmière pendant la Guerre de Crimée. Ces personnages tragi-comiques évoluent dans des récits qui sont des parodies reprenant les clichés culturels, politiques et sexuels de la société contemporaine. Ces mises en scène de vies antérieures fictives sont le moyen, pour Eleanor Antin de se définir en tant que femme et artiste au XXIème siècle. En confrontant son expérience et sa vision personnelle avec un passé historique, elle critique et explore la situation contemporaine. Pour les artistes féminines, les mouvements de libération de la femme du milieu des années 1960 au milieu des années 1970 n'ont pas seulement provoqué des changements dans les pratiques sociales et professionnelles des femmes, mais aussi dans la perception de leur identité. Par le biais de personnages tel que le Roi, Eleanor Antin joue avec les rôles sociaux et les genres. Ce qui intéresse Eleanor Antin est davantage de ressembler à un roi qu'à un homme, avec des prérogatives et des devoirs. L'artiste reste fidèle à ses personnages. Elle incarne ainsi Eleanora Antinova durant une dizaine d'années. Cette ballerine fait l'objet de plusieurs vidéos, photographies, dessins, performances ainsi que d'un portfolio autobiographique en 1981, Recollections of My Life with Diaghilev, 1919-1929, by Eleanora Antinova.
Eleanor Antin travaille aussi avec sa propre apparence pour réaliser des œuvres conceptuelles scénarisées et performatives, à l'image d'autres artistes femmes de l'époque telles que Marina Abramovic ou Valie EXPORT. Pour Carving : A Traditional Sculpture (1972), Eleanor Antin se prive de nourriture pendant un mois et photographie son corps nu à différentes étapes de son inévitable transformation physique. Répondant à cette œuvre, The Eight Temptations (1972), où, dans une série de photographies, Eleanor Antin repousse avec des gestes très théâtraux des aliments posés devant elle, résistant à la tentation de manger la nourriture qui pourrait nuire à son régime.
Eleanor Antin travaille ses œuvres dans la durée sous forme de séries ou de performances dans lesquelles elle peut approfondir ses réflexions. Entre 1971 et 1973, elle réalise 100 boots, une série de cinquante et une photographies montrant cent bottes de pluie noires en caoutchouc, photographiées dans différents lieux des Etats-Unis. L'artiste fait de ces photographies des cartes postales qu'elle envoie à travers le monde. La correspondance épistolaire devient un médium artistique. Par ailleurs, ces photographies forment un récit visuel, celui d'un parcours entre l'Océan Pacifique et New York s'achevant par une exposition au MoMA en 1973.
"Il devait bien y avoir un moyen de montrer l'art aux gens autrement qu'en le collant entre les murs blancs et nus des galeries new-yorkaises. Pourquoi pas par courrier ? Il suffisait à l'époque d'un timbre de six cents pour envoyer une carte postale au tarif normal. Les grands romans de Dickens et de Dostoïevski n'avaient-ils pas d'abord été présentés au public sous forme de feuilletons ? Ce pourrait être un récit par épisode, une longue histoire, un roman, un "road novel" à la manière de celui de Kerouac, un roman picaresque mais en images – sur des cartes postales – et par courrier. […] Tout roman picaresque a son héros, un imbécile de charme – D'Artagnan était un crétin, Tom Jones, un cinglé, quant à Don Quichotte, il déjantait complètement -, le mien ne parlerait pas. Ce serait un marginal, un héros qui poursuivrait un long travail très lentement. Je ne voulais pas d'un trait d'esprit. Je voulais une épopée. Une nuit, mon héros m'est apparu en rêve : "100 Boots Facing The Sea". Le lendemain, je suis allée dans un surplus de la marine nationale et j'ai acheté 100 bottes en caoutchouc noir toutes simples. […] Comment aurais-je pu deviner alors qu'elles allaient entrer dans ma vie et la changer pour toujours ?" [1]
Eleanor Antin, en mettant en situation une centaine de bottes dans des lieux les plus variés se rapproche du théâtre instantané créé en 1956 par Rachel Rosenthal, artiste établie à Los Angeles. Cette pratique théâtrale renouvelait le théâtre classique en s'intéressant davantage au réel, à l'impulsion et au présent.
A partir des années 2000, Eleanor Antin fait de l'Antiquité romaine sa principale source d'inspiration visuelle. Ses grandes compositions photographiques en couleur imitent le style symboliste et néoclassique des œuvres de Puvis de Chavannes, Jacques-Louis David et Nicolas Poussin que l'on trouvait exposés dans les Salons du XIXème siècle. Dans la série The Last Days of Pompei (2001) l'artiste propose une vision caractéristique de la ville romaine antique, avec ses jardins luxuriants et son architecture classique primitive. Elle met en scène les derniers jours des Pompéiens profitant, dans un excès de richesse, des derniers instants qu'ils leurs restent, ignorant le désastre qui les guette. Le décor, très hollywoodien est celui des collines de La Jolla en Californie. C'est une allégorie ironique de la culture américaine et de la surconsommation que l'artiste compare à une autre grande puissance historique, la Rome antique. Tout comme les Pompéiens à l'époque, cette civilisation est plongée dans une quiétude inconsciente, ne tenant pas compte de la possibilité d'une catastrophe induite par le réchauffement climatique, la rareté de l'eau potable, les maladies migrantes, le terrorisme... Pour l'artiste ce sont autant de menaces que le Vésuve et l'allégorie est le meilleur moyen pour décrire la situation dans laquelle se trouve le monde.
Dans une autre série de photographies Roman Allegories réalisée en 2004, Eleanor Antin effectue le même travail mais en s'intéressant davantage à la ruine et à la chute de l'Empire romain. Et en 2007 elle réalise une série de photographies intitulée Helen's Odissey mettant en scène le destin tragique de ce personnage mythologique.
A travers ces typologies culturelles et les thématiques qui ont parcouru son œuvre, Eleanor Antin cherche à proposer une métaphore, une image poétique, souvent ironique, mais malgré tout ouverte à l'interprétation de notre société moderne.
[1] Eleanor Antin, "Remembering 100 Boots", dans Eleanor Anton, 100 Boots, Philadelphie, Philadelphie Running Press Book Publ., 1999, n.p. Repris dans Catherine Grenier (dir.), Los Angeles, 1955-1985 : naissance d'une capitale artistique, cat. expo., Paris, Centre Pompidou, Galerie 1, 8 mars-17 juillet 2008 ; Paris, Ed. du Centre Pompidou, 2006, p.233.