![]() | Nationalité japonaise Née en 1940 à Tokyo (Japon) Vit et travaille à Tokyo (Japon) | Biographie Bibliographie Liste expositions |
Née à Tokyo en 1940, Mako Idemitsu est issue d’une famille fortunée et typiquement patriarcale. Son père Sazo a été un des plus puissants industriels du Japon dans le domaine du pétrole, grand amateur et collectionneur d’œuvres d’art. Elle entretient avec lui un rapport paradoxal d’amour-haine. Ce vécu familial sera à l’origine de son œuvre, qui traite notamment de la condition des femmes dans le Japon contemporain. Elle entreprend des études littéraires à la Waseda University (Tokyo) avec l’intention de devenir romancière, puis étudie à la Columbia University à New York. Elle y rencontre Sam Francis, peintre de l’expressionnisme abstrait, qu’elle épouse et avec qui elle a deux enfants. En tant que mère et femme au foyer, Mako Idemitsu se trouve plongée dans une crise d’identité qu’elle cherche à exprimer par la création cinématographique. Elle commence à tourner des films et s’engage dans un groupe féministe.
Pendant ses années américaines (1963-1964 à New York ; 1965-1973 en Californie), ses films sont influencés à la fois par les concepts du psychologue Carl Jung (notamment les «archétypes» Animus, Great Mother, Shadow ) et les théories féministes, au moment même où les mouvements de libération des femmes prennent de l’ampleur aux Etats-Unis. Woman’s House (1972), son premier film en 16 mm, témoigne justement d’un des premiers événements féministes dans le domaine de l’art, Womanhouse, organisé dans le cadre du Feminist Art Program fondé par Judy Chicago et Miriam Schapiro au California Institute of the Arts [1].
Puis l’artiste retourne au Japon en 1973 et y poursuit sa carrière de cinéaste expérimentale, alors qu’il y a encore peu de femmes-artistes. La plupart des films qu’elle réalise à cette époque sont construits avec des images représentant des éléments naturels : l’ombre, la lumière, le ciel, les plantes, les arbres, etc. De ces films d’une grande rigueur formelle se dégage une qualité poétique et lyrique. Le commentaire en voix off dit par l’artiste elle-même y ajoute une dimension personnelle et subjective.
L’usage de la lumière et de l’ombre renvoient à la condition intérieure de l’artiste. Comme le dit Mako Idemitsu, « Light and shadow reflect my inner condition » [2]. Ainsi, Whispering Light (1985) montre des images de plantes, dans l’ombre ou la lumière, sous le regard subjectif de la narratrice qui raconte en voix off la mort de sa mère. Dans At Any Place 4: From the Tango of a Housewife par Mamako Yoneyama (1978), le thème de la vie quotidienne d’une femme au foyer est exploré à travers la superposition de deux séries d’images : la performance Tango of a Housewife de la mime Yoneyama Mamako, mixée avec des images de nuages, de soleil couchant et de feux d’artifice.
Parallèlement à son travail filmique, Mako Idemitsu réalise des vidéos à partir du début des années soixante-dix. Si ses premières vidéos ressemblent encore à ses films expérimentaux (comme la vidéo Inner-Man (1972) où l’image d’une femme en kimono en train de danser est superposée à celle d’un homme nu qui danse [3]) ce qui va faire remarquer le travail d’ensemble de l’artiste sera plutôt les vidéos qu’elle réalise à partir de la fin des années soixante-dix, vidéos de drames familiaux qui ont pour thèmes la condition des femmes au foyer dans le Japon contemporain, la relation mère-enfants ainsi que les oppressions familiales et sociales auxquelles se confrontent les femmes-artistes. Il est à noter que l’artiste y emploie son fameux « Mako style », lequel consiste en l’omniprésence dans le décor d’un moniteur télévisuel, agent du récit à part entière, sur lequel passent en contrepoint des échos de la fiction principale.
Ce procédé est employé pour la première fois dans Another Day of the Housewife (1977), vidéo dans laquelle l’artiste interprète le rôle principal, s’inspirant de sa propre expérience de femme au foyer, coincée dans les routines répétitives. On y voit un œil sur l’écran de la télévision, qui observe la femme, sorte de surveillance qui incarne les contraintes intériorisées en elle. La fonction du moniteur incrusté dans la mise en scène devient encore plus évidente dans Shadow Part 1 (1980) et Shadow Part 2 (1982). Les projections psychologiques des personnages sont représentées sur l’écran. Ces œuvres font allusion à la notion d’ombre (Shadow) de la psychologie jungienne, désignant les aspects sombres de la personnalité.
Dans d’autres vidéos de Mako Idemitsu, les images du moniteur vont jusqu’à remplacer la présence réelle d’un personnage. Dans Hideo, It's Me, Mama (1983), l’interaction entre la mère et son fils se fait uniquement à travers une télévision représentant le fils. Cette vidéo traite de l’attachement des mères japonaises à leurs fils (les mères sont traitées comme des servantes par leurs maris uniquement préoccupés de leurs carrières), ainsi qu’à la télévision, les deux obsessions des femmes au foyer au Japon à l’époque. La présence systématique du moniteur à l’intérieur même de la fiction qui se joue révèle les frictions entre les membres de la famille : les images sur l’écran prennent par conséquent une fonction narrative en juxtaposant à la narration principale une narration secondaire, qui peut être la représentation de la pensée des personnages, une narration annexe, une projection du subconscient.
Ce dispositif est aussi à l’œuvre dans Yoji, What’s Wrong With You? (1987). Cette vidéo met en scène l’histoire d’une mère qui n’accepte pas la relation amoureuse de son fils. Parallèlement à l’action principale, une narration complémentaire à lieu sur le moniteur qui fait partie du décor de l’action principale, installant là plusieurs niveaux d’écriture complémentaires. En somme, les vidéos de « fiction » d’Idemitsu sont fortement marquées par une sorte de sur-dramatisation, par l’artificialité de la mise en scène et par l’excès des comportements des personnages, ce qui conduit à créer une distance critique par rapport à l’emprise des modes de relation dans la sphère familiale et sociale.
Mako Idemitsu réalise aussi des installations vidéo, dans lesquelles elle développe une dimension plus directement politique : Past Ahead (2005) consiste en des photographies de l’artiste et de sa sœur, des images d’une vie paisible au début des années quarante au Japon, juxtaposées à des images de l’armée japonaise envahissant des pays asiatiques, ainsi que des images de l’attaque de Pearl Harbor en 1941. La coprésence des deux séries d’images fait émerger la césure entre la vie ordinaire et la réalité politique du Japon liée à son activité militaire. Tout en examinant avec recul ces événements historiques, l’œuvre fait allusion aussi à l’actuel engagement de l’armée japonaise en Irak.
Les œuvres de Mako Idemitsu se trouvent dans les collections du Fukuyama Museum à Tokyo, du Museum of Modern Art à New York, ainsi qu’au Centre Pompidou à Paris. Elles ont été montrées notamment au Festival du Nouveau Cinéma et de la Vidéo à Montréal, au Centre Georges Pompidou, à la Biennale de Venise et à la Documenta 8 de Kassel.
Mako Idemitsu vit et travaille à Tokyo.
Sylvie Lin
[1] L’exposition a lieu dans une maison à Hollywood, transformée en espace d’exposition par des femmes-artistes. Chacune d’elles s’empare d’une chambre et y installe une œuvre.
[2] Propos cités par Norio Nishijima, dans ‘Myth of the Heart. The Film and Video World of Mako Idemitsu’. in http://www.makoidemitsu.com/www/home.html
[3] L’œuvre est basée sur l’idée d’animus provenant de la psychologie jungienne.
« L'animus est quelque chose comme une assemblée de pères ou d'autres porteurs de l'autorité, qui tiennent des conciliabules et qui émettent ex cathedra dents "raisonnables" inattaquables. Mais, à y regarder de plus près, ces jugements prétentieux sont pour l'essentiel un amoncellement de mots et d'opinions qui se sont accumulés dans l'esprit de la petite fille, puis de l'adolescente depuis l'enfance, et qui, recueillis, choisis et collectionnés peut-être inconsciemment, finissent par former un canon, une espèce de code de vérités banales, de raisons et de choses "comme il faut".
C.G. Jung " Dialectique du moi et de l'inconscient ", Idées / Gallimard, 1973 p 182/183.
Site de l’artiste : http://www.makoidemitsu.com/www/home.html