Nationalité française Née en 1932 à Beyrouth (Liban). Décédée en 1990 | Biographie Liste expositions |
Née en 1932 à Beyrouth au Liban, Delphine Seyrig est fille d’un archéologue et d’une navigatrice, passionnée de littérature, dont elle hérite l’amour des livres. Durant son enfance, elle séjourne dans différents pays, parlant l’anglais aussi bien que le français, avant de s’installer à Paris en 1952 pour suivre des cours d’art dramatique. A vingt ans, elle décroche son premier rôle au théâtre, mais c’est aux Etats-Unis, en 1958, qu’elle démarre au cinéma avec le court métrage Pull my Daisy de Robert Frank, adapté du troisième acte de la pièce Beat Generation de Jack Kerouac. De retour en France en 1960, elle poursuit sa carrière de comédienne, tant sur la scène qu’à l’écran. Sa rencontre avec Alain Resnais est décisive. En lui donnant le rôle de « A » dans lLannée dernière à Marienbad (1961), adaptation d’une œuvre emblématique du nouveau roman, ils accèdent tous deux à la notoriété. Elle incarne l’image d’une femme à la fois mystérieuse et théâtrale et devient une figure du cinéma de la Nouvelle Vague.
En 1963, elle obtient la coupe Volpi de l’interprétation féminine à la Mostra de Venise pour son rôle dans Muriel ou le temps d’un retour, à nouveau dirigée par Alain Resnais. Elle s’engage sur des projets d’auteur, tournant dans deux films de William Klein, Qui êtes-vous Polly Maggoo et Mister Freedom, mais aussi avec Luis Buñuel, Joseph Losey ou encore Jacques Demy. Elle est prénommée « la femme à la voix de violoncelle » par Michael Lonsdale, avec qui elle tourne dans India Song de Marguerite Duras, dont elle devient l’égérie et avec qui elle tourne quatre films.
Femme de conviction, Delphine Seyrig s’engage publiquement en signant le Manifeste des 343, pétition rédigée par Simone de Beauvoir et parue le 5 avril 1971 dans le Nouvel Observateur, pour appeler à la dépénalisation et légalisation de l’Interruption Volontaire de Grossesse. C’est alors que sa carrière prend un tour plus militant. Elle oriente ses choix vers des femmes réalisatrices. Elle tourne plusieurs fois avec Ulrike Ottinger, artiste de l’avant-garde allemande, avec Chantal Akerman, réalisatrice belge, pour qui elle incarne Jeanne dans Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles, considéré comme le manifeste féministe de Chantal Akerman…
Marguerite Duras écrit de Delphine Seyrig, dans un texte publié dans Libération le 17octobre 1990, deux jours après sa mort « ce qui arrive aux autres, soit en bien soit en mal, elle le partage comme jamais je n’ai vu partager la joie ou le malheur. Une fois, dans le courant de ce film, une injustice avait été commise vis-à-vis d’un technicien. Cela ne la regardait en rien. Elle a crié. Et elle a pleuré. «Je sais bien que ça ne me regarde pas, mais je ne peux pas, je ne peux pas m’en empêcher.» La seule entrave à sa liberté, c’est l’injustice dont les autres sont victimes.»
Lorsqu’elle passe de l’autre côté de la caméra, elle réalise des films engagés, où le ton est impertinent, osé mais précis. Sous le nom des Insoumuses, elle signe, avec Carole Roussopoulos et Iona Wieder, S.C.U.M. Manifesto [1], en 1976, d’après le texte de Valérie Solanas [2], rédigé en 1967. A l’écran, Delphine Seyrig dicte des extraits du livre de Solanas à Carole Roussopoulos qui le tape sur une machine à écrire, posée sur une table de cuisine sur laquelle une télévision diffuse les informations d’une chaîne nationale. Pendant ce plan séquence, la caméra zoome ponctuellement sur l’écran, le journal télévisé devient alors une surprenante illustration du texte virulent de Valérie Solanas, la femme qui a tiré sur Andy Warhol. En effet, les images du jour montrent des chefs d’état et des soldats partant à la guerre en Corée et au Liban renforçant leurs de la féministe qui se révolte contre l’hégémonie masculine et la violence qui en découle.
Le dernier film de Delphine Seyrig Sois belle et tais-toi ! est une compilation d’entretiens avec des comédiennes qui évoquent leur relation au cinéma et réalisateurs. Tourné en 1976, les vingt-quatre comédiennes décrivent des conditions où l’image de la femme demeure cliché et réactionnaire. Traitée comme un objet, Jane Fonda raconte comment on lui demande de se faire casser la mâchoire par un dentiste pour faire ressortir les pommettes. Trente ans plus tard, ce schéma, criant de sauvagerie, à la fois violent et caricatural, est devenu une norme, la majorité des stars passant par l’inévitable étape de la chirurgie esthétique pour accéder aux normes de l’écran.
Avec la forte volonté de permettre « de recenser tous les documents audiovisuels sur les droits, les luttes, l'art et la création des femmes, de les faire connaître et de les distribuer »[3] elle fonde en 1982 le Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir, avec Carole Roussopoulos et Ioana Wieder.
[1] SCUM Manifesto est un texte féministe écrit par la New-Yorkaise Valérie Solanas en 1967, qui y préconise "à toutes celles qui ont un brin de civisme, le sens des resposabilités et celui de la rigolade, de renverser le gouvernement, en finir avec l'argent, instaurer l'automation à tous les niveaux et supprimer le sexe masculin."
[2] Valérie Solanas, née le 9 avril 1936 à Ventor City (Etats-Unis) et décédée le 26 avril 1988 à San Francisco, était une intellectuelle féministe américaine, connue pour son pamphlet SCUM Manifesto. Elle s'est également illustrée en tentant de tuer Andy Warhol.
[3] voir : http://www.center-simone-de-beauvoir.com/
Patricia Maincent