Nationalité libanaise
Né en 1967 à Chbanieh (Liban)
Vit et travaille à Beyrouth (Liban) et à New York (États-Unis)
Biographie
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Biographie

Né en 1967 au Liban, Walid Raad enseigne à l'école d'art Cooper Union de New York.


Son travail comprend des textes, des projets photographiques, des installations multimédia, des vidéos, des performances (…), tous articulés autour d'une réflexion sur les représentations possibles de la guerre du Liban. Comment s’en souvenir et lui donner sens ?


 La guerre du Liban, débutée en 1975, a entraîné une destruction physique et psychologique du pays et de sa capitale, Beyrouth. Face à la violence extrême des combats qui y furent menés, dans un pays appelé autrefois la "Suisse du Moyen Orient", la guerre passée semble ne pouvoir être commémorée ou même nommée. Elle n’est pas étudiée à l’école, les premiers textes qui en parlent prêtent à controverse, chaque libanais paraît porteur de l’histoire de sa propre guerre et l’histoire "officielle" ne semble pas pouvoir s’écrire. Face à cet état de fait, Walid Raad créé en 1999 une fondation imaginaire, The Atlas Group (Beyrouth / New York, www.theatlasgroup.org), qui aurait pour but, selon la déclaration d’intention du groupe, de rechercher, de collecter tous types de documents relatifs à l’histoire contemporaine du Liban, (témoignages, écrits, films, photographies, enregistrements), afin de les étudier et de les structurer pour produire une archive sous forme d’ouvrages, de documents visuels et audiovisuels visant à porter un éclairage sur l’histoire récente du Liban.


 Ce vaste projet d’archivage nous permet d’accéder à l’histoire de la guerre du Liban en tant que somme de récits personnels et d’histoires singulières. Walid Raad interroge la nature des mémoires collectives et individuelles et leur rôle dans la formation des récits historiques admis, ainsi que les frontières entre la représentation artistique et la représentation historique. Lors de la Biennale du Whitney Museum, il proposait de réfléchir sur la manière de témoigner du "passage d’un présent extrêmement violent". Dans ses œuvres, deux niveaux de lecture sont proposés : celui de l’évènement et celui de la reconstitution de l’évènement à partir de sa représentation. Walid Raad collecte ainsi des documents, les organise pour ensuite les détourner afin d’être en mesure d’écrire une histoire fictive de la guerre du Liban.


 Dans l’un des projets du groupe, intitulé My Neck Is Thinner Than A Hair : A History of The Car Bomb in the 1975-1991 Lebanese War, Walid Raad développe une métaphore entre les "voitures piégées" et les "images piratées". Cette œuvre cherche à écrire l’histoire des 3614 attentats commis par les milices dans les quartiers de Beyrouth et dans toutes les grandes villes du Liban. La voiture piégée devient ici le symbole emblématique d’un phénomène de société, chaque explosion devenant le centre d’attention des médias et d’un public pouvant suivre ces évènements dans la réalité ainsi qu’à la télévision. "Quand une ville vit avec une explosion chaque jour, explique Walid Raad, dans un climat de terreur continu, toutes les définitions sont changées, et mises en doute ; notamment la différence entre le privé et le public. Ce qui peut se produire quand on vit dans une ville comme celle là, c’est que en décide de ne plus rester sur place, de modifier ses horaires, ce qui change du même coup le rythme régulier de la ville. Le citoyen devient nomade, ou au contraire sédentaire, en décidant de rester à la maison et de ne pas en sortir. Dans ce dernier cas, il n’est plus en relation avec les autres, et se brise la définition première de la ville qui est de vivre ensemble. Il n’y a alors plus de ville". *1


Face aux évènements auxquels le spectateur est confronté par son téléviseur, se pose la question de sa responsabilité, de sa distance critique. Comment ne plus être seulement consommateur et spectateur d’images, mais aussi producteur et acteur d’information ? Ce projet de Walid Raad nous permet d’appréhender l’histoire de la guerre du Liban en tant que somme de récits personnels, de drames intimes, d’histoires singulières dont la dimension psychique s’avère précieuse pour une œuvre de mémoire digne de ce nom, respectueuse des faits et des témoignages de chacun. Raad précise que "l’histoire des voitures piégées transporte aussi un autre récit, celui de la manière intime dont cette guerre a été vécue : comment ceux qui ont été confrontés à des évènements d’une telle violence physique et psychique s’expriment-ils sur cette expérience extrême, comment sont ils parvenus à l’assimiler ?"Lorsque le spectateur pose un premier regard sur les œuvres de Raad, il peut penser que celles-ci relèvent plus du documentaire.


En présentant ses matériaux fictifs en tant qu’archives, Raad, explore le glissement qui se produit entre histoire et fiction. Il métamorphose des souvenirs imaginaires en archives historiques afin de questionner l’opposition que l’on effectue entre ces deux structures narratives.


Une performance/ conférence multimédia intitulée The Loudest Muttering Is Over : Case Studies From The Atlas Group Archive, créée en 2000 et réactualisée en 2007, expose les projets de l’artiste. Chacun des sujets documente un aspect de la guerre civile à l’aide de carnets personnels, de vidéos, de photographies, toutes fictives ou détournées, mais présentées à première vue en tant qu’archives réelles par l’artiste. L’œuvre traite donc du privé et du public, car chaque projet rassemble des archives personnelles rendues publiques par The Atlas Group.


La première œuvre présentée dans le cadre de cette performance porte sur les carnets du Dr. Fakhouri. Il aurait été un historien libanais important, et aurait légué à l’Atlas Group ses carnets personnels, dans lesquels sont énumérés les résultats de courses équestres sur lesquelles lui et d’autres historiens ont parié pendant la guerre, et ce en respectant l’équilibre confessionnel du gouvernement libanais : les marxistes et les islamistes pariaient sur les courses numérotées de un à sept, les maronites et les socialistes sur les courses de huit à quinze. Raad critique ici le système confessionnel établi dans le pays. La constitution libanaise stipule en effet qu'un nombre fixe de représentants des différentes communautés religieuses doit être élu à l'assemblée nationale: 64 chrétiens, parmi lesquels tant de maronites et tant d'orthodoxes, 64 musulmans, parmi lesquels tant de sunnites, de shiites, de druzes - parti socialiste-. De même, le président doit être maronite, le premier ministre sunnite, et le chef de l'assemblée shiite. Ces notes relatent la durée des courses, décrivent brièvement les historiens, des photographies des chevaux gagnants viennent les compléter. "Il est important de noter que les cahiers du Docteur Fakhouri, intitulés "Missing LWars", portent sur de troublantes questions à propos des possibilités et des limites d'écrire une histoire de la récente guerre civile au Liban. Le cahier regroupe l'histoire d'historiens libanais qui pariaient sur des courses selon leur répartition démocratique au Liban, et qui gagnaient sur la "photo finish" publiée dans le journal Annahar. En plus de noter le fait que les historiens se répartissaient les jeux et les gains selon leur représentation à l'assemblée, le cahier inclue des photos tirées du journal. Ce qui est fascinant à propos de ces images, c'est que le cheval est toujours pris en photo juste avant ou après, mais jamais exactement, sur la ligne d'arrivée. Cette incapacité d'être présent au bon moment pose de nombreuses questions sur la façon d'écrire l'histoire d'évènements violents physiquement et psychologiquement qui se sont passés il y a plus de trente ans". *2


Walid Raad met en doute par le biais de cette œuvre l’idée qu’une source d’information officielle soit obligatoirement impartiale. En effet, pendant la guerre, les divers groupes religieux et politiques ont pris en otage les médias nationaux, afin d’assurer leur propagande. Il critique également de système confessionnel établi dans le pays. A partir de l’histoire du Dr. Fakhouri, Raad met en évidence la difficulté d’écrire l’histoire libanaise.


Le deuxième sujet est une vidéo de six minutes intitulée I Think it Would Be Better If I Could Weep (2002), qui aurait été envoyée anonymement à L’Atlas Group. Elle se compose d’une suite de couchers de soleil filmés à partir de la Corniche, lieu de promenade très prisé à Beyrouth. Raad explique en présentant cette vidéo qu’en 1992 des agents libanais avaient installé dans la capitale des caméras de surveillance dans des « cafés camionnettes ». Chaque jour, au moment du coucher du soleil, l’agent 17 retournait sa caméra et filmait vers le coucher du soleil. Découvert, il fut congédié. Il put néanmoins conserver ses vidéos. L’agent 17 habitait à l’époque de la guerre Beyrouth Est. Cependant, une « ligne verte », c'est-à-dire une zone contrôlée par de nombreuses milices séparant Beyrouth Ouest de Beyrouth Est empêchait les habitants de passer d’une partie de la ville à une autre. Or son rêve était de voir le coucher de soleil sur la mer, à Beyrouth Ouest. La répétition des couchers de soleil fait écho à l’expérience traumatisante qui a poussé l’opérateur 17 à détourner sa caméra.


Le troisième volet de la performance est une vidéo intitulée Hostage : The Bachar Tapes, qui raconte l’expérience d’un otage libanais détenu pendant la crise des otages occidentaux au Liban avec quatre américains à Beyrouth. Plutôt que de présenter des statistiques, des récits détaillés de chefs politiques et religieux, des photographies montrant le désastre de la guerre sur le pays, le travail de Walid Raad questionne la façon dont se construit le récit historique. Alors que chaque petite histoire peut venir interrompre le processus qui mènerait à une compréhension globale de la guerre, toutes ces histoires participent également au processus de reconstitution, par l’exercice de la mémoire.


 Les "documents" utilisés par Raad dans ses œuvres ne présentent pas ce qui s’est vraiment passé, puisqu’ils ont été fabriqués sous l’égide de l’art, mais en les faisant passer pour des archives, l’artiste nous invite à considérer son propos comme une "rêverie théorique" sur le thème de l’histoire et de la mémoire. Transformiction en récit historique, Raad abolit l’opposition entre ces deux formes de récit. En brouillant les frontières entre histoire et fiction, il révèle également l’importance du travail de la mémoire dans l’élaboration de toute forme de récit. A travers son œuvre, Raad s’interroge sur la façon dont on peut penser la reconstitution d’évènements historiques et, plus particulièrement, l’expérience traumatisante du Liban.


*1 interview dans la revue  Dits, hiver 2005.


*2 interview dans la revue Bomb, décembre 2007.


 


Elodie Vouille