Dans Kiyoko’s Situation, le moniteur occupe un espace central dans l’image, comme une obsession de l’esprit. Il représente la puissance supérieure qui écrase les ambitions de l’héroïne de devenir artiste, se blâmant constamment de ne pas être une bonne mère ou une bonne épouse. Il était une fois une femme qui aspirait à être artiste...l’histoire se gâte ensuite car elle ne reçoit aucun soutien de la part de son entourage. [1] Cela la pousse à l’isolement puis pour finir au suicide.

Idemitsu est visiblement passée dans sa propre vie par les mêmes situations que ses personnages, menant d’une part une longue bataille au sein de son propre foyer, puis au sein de la société japonaise en tant que femme et artiste. Inspirée par le Mouvement de libération des femmes dont elle a croisé le chemin lorsqu’elle vivait aux États-Unis, elle livre dans ses vidéos une lutte à l’aide de ses mini-drames critiques. Ses récits sont ainsi conçus : ils tentent vers l’universel plutôt que de raconter une histoire particulière ou d’exprimer les frustrations personnelles et individuelles d’une femme au foyer. En effet, bien que les travaux d’Idemitsu reflètent son expérience personnelle, ils traitent surtout de sujets plus universels ayant presque qualité de mythes ou de contes. Ce qui est important dans l’histoire racontée, ce n’est pas le développement de la narration ou le suspense engendré par un déplacement de cause à effet, mais ce sont les relations sous-jacentes créées, qui sont considérées comme des « constellations » (activation d’un contenu archétype) dans la psychologie jungienne.

Les méthodes que l’artiste met en place et qui incluent l’intervention d’un objet incongru au sein de la saynète – le moniteur télévisuel – se rapprochent de l’approche brechtienne. [2] Ainsi dans le théâtre dialectique de Bertolt Brecht, la narration devait pouvoir provoquer une réflexion chez le public et déclencher un processus de remise en question. Idemitsu en s’engageant dans une critique des conventions imposées par la société et en présentant et décrivant le quotidien de ses personnages féminins, voulait induire les mêmes mécanismes.

Louise Coquet, 2015

[1] Une œuvre plus récente converge dans cette même direction. Il s'agit de Kae, Act Like a Girl (1996).

[2] Bertolt Brecht entendait ses pièces de théâtre comme des « instruments d’instruction ».