La Prière, 2008

Betacam numérique PAL, couleur, son


Alors qu'une mosquée parisienne ne peut contenir la foule de fidèles, le lieu de culte se déplace ici sur l'espace public. La vidéo de Florence Lazar suit le déroulement de cette prière depuis l'installation des tapis sur les pavés, jusqu'au pliage après le recueillement. Durant les 20 minutes de ce plan séquence, le cadre fixe une foule d'hommes, amassés en plein jour dans cette petite rue. Quelques regards en coin, le recul d'une personne ou encore un " Attention Madame ", lancé par une des personnes qui installent les tapis dans la rue permettent d'identifier la présence féminine de l'artiste. On peut aussi se demander si la personne qui signale qu'il y a de la place plus loin dans la rue ne le fait pas à cause de l'artiste. En-dehors de ces quelques détails, la présence de la caméra se fait à peine sentir. La frontalité du cadre ne semble pas perturber la concentration de ces hommes qui ignorent la caméra. Pris dans leur ferveur, ils s'alignent les uns à côté des autres et entament leur rituel, ponctué par la voix de l'imam. Chorégraphie très ordonnée, ils se prosternent et se relèvent en cadence, totalement détachés de ce contexte urbain. Cette pratique étant tolérée mais non réglementée, rien n'interdit de s'installer en face, mais la ferveur et le nombre d'adeptes rendent le rassemblement impressionnant et le regard du spectateur devient très intrusif. Les pratiquants sont essentiellement d'Afrique Noire et du Maghreb, on reconnaît cependant Paris à quelques détails typiques comme les pavés, les poubelles ou encore les réverbères sur les côtés. Quelques passants et cyclistes passent rapidement sur le trottoir.

Si l'appel du muezzin se fait entendre, on ne voit pas pour autant la mosquée, privant le spectateur de tout référent à l'intimité de rigueur pour ce rituel. Les ornements aux couleurs vives des tapis tranchent avec le gris de la rue, apportant chaleur et intimité dans ce passage public. Lorsque chaque homme laisse ses chaussures au bord du trottoir avant de se positionner sur le tapis, il souligne ce passage du lieu public au lieu sacré.

Les tapis, déjà présents dans le travail de l'artiste, créent un territoire à part, soulignant le décalage culturel et social de ce lieu de prière improvisé. Envahissant et harmonieux, ce territoire sacré s'impose dans l'espace. Ces hommes recréent un espace social spécifique, une affirmation de groupe dans une société non adaptée, puisque sans structure pour les accueillir. Quelques passantes perturbent la ségrégation de rigueur dans les lieux de culte musulman, mais l'ordre règne. En même temps hors du temps, par la posture de recueillement qui tranche avec la fonction de la rue comme lieu de passage et dans le temps à cause des multiples détails qui soulignent le quotidien parisien, cette scène de rue marque le cloisonnement social par genre, par religion, mais aussi par tranche d'âge et de culture.

 

Alors qu'en changeant de medium en 1999 pour passer de la photographie à la vidéo, Florence Lazar revendique la nécessité de parole, là, justement, la parole est un simple murmure inaudible. Le corps s'exprime par la posture, créant un parallèle entre dévotion et militarisme. Ces hommes, privés de paroles et isolés dans leur recueillement, forment un groupe homogène et compact, définissant une identité collective qui s'impose dans un environnement inadapté.

 

Patricia Maincent