Apparitions (sélection 93-95), 1993 - 1995
1 téléviseur stéréo, 1 support mural,
1 bande vidéo PAL, couleur, son,
" Je ne crois pas aux utopies. J'ai grandi dans une situation politique, économique et sociale qui a vu s'écrouler ou ne pas aboutir différentes propositions – surtout dans l'art – qui visaient à " résoudre " des problèmes de société. Je n'aborde pas mon travail avec l'idée de découverte, d'invention. Je ne me définis pas non plus comme un créateur [...]. Dans quelle mesure en effet le statut de l'artiste n'est-il pas uniquement un statut plus ou moins économique et juridique ? " Cette déclaration de Matthieu Laurette indique comment, depuis le début des années 1990, son travail échappe aux catégories formelles de l'art, et se présente comme une machinerie d'infiltration, un jeu de déconstruction des supports sociaux-économiques qui définissent l'individu, son appartenance à un milieu. Le projet de cet artiste atypique se présente ainsi comme une série de chantiers, de stratégies implacables, dans lesquelles il instrumentalise les espaces contemporains de la communication et des médias (Internet, la télévision). Autant d'outils qui lui permettent de désigner et d'excéder la perversité, l'absurdité et les paradoxes d'un système global dominé par l'économie de marché. À partir de recherches et de processus d'échange, Matthieu Laurette entreprend de dresser l'inventaire des critères et des méthodes qui évaluent et distribuent les normes, les fonctions et les territoires. Dès l'origine, en 1993, dans la série Apparitions, Laurette fait ce geste manifeste d'auto-proclamation de son identité d'artiste. Sa participation au jeu télévisé " Tournez manège " lui permet de se déclarer " artiste multimédia ", ceci dans une sphère autrement plus publique que celle du milieu de l'art. Dès lors, il incorpore la télévision comme surface de travail, en utilisant le pouvoir, les moyens de production et les déficits de ce média. Figurant passif dans certains shows télévisés populaires ou personnage exemplaire dans des sujets de société, il intègre ainsi la place anonyme du public, tout en incarnant le rêve banalisé de la célébrité. Apparitions est ce corpus constitué d'images ready-made qui doivent tout autant à la critique debordienne de la société spectaculaire qu'à son apologie warholienne, sa puissance de séduction.
Stéphanie Moisdon