Première déesse électronique du monde, 1970 - 1982

1 structure verticale en bois, 5 moniteurs, noir et blanc,
5 bandes vidéo, noir et blanc, silencieux, 35’



Cinq moniteurs placés les uns au-dessus des autres dans une colonne en bois montrent, chacun séparément, différentes parties d'un corps féminin en gros plan : pieds, pubis, poitrine, bras et bouche. Images en noir et blanc, mouvements très lents, vidéo non sonorisée, ce travail nous renvoie tout autant au cinéma primitif qu'à la volonté de Friederike Pezold d'aller à l'encontre de ce que proposent les technologies récentes – et, sans doute, celles à venir –, qui consistent à développer toujours plus de vitesse, tant dans la fabrication que dans la réception des images. Cette immense lenteur et l'absence de sons d'accompagnement ou périphériques frappent par leur radicalité, car est ainsi refusé opiniâtrement le modèle audiovisuel dominant de nos sociétés. Friederike Pezold nous propose, tout au contraire, de nous concentrer sur des attitudes simples du corps, des petits mouvements de la bouche, des respirations de la poitrine, des jambes qui se déplacent, autant de gestes corporels qui cherchent d'abord à arrêter notre regard. En nous fixant sur ce corps fragmenté et sur sa lenteur, c'est nous-mêmes qui marquons un arrêt, notre perception se soumettant à la danse, minimale mais hypnotique, que semblent exécuter les seins, les lèvres ou les orteils, lesquels ne font pourtant rien d'étonnant. Ou plutôt si : nous les voyons bouger comme en une " forme de taï-chi pour les yeux ", formule de Pezold qui n'est pas seulement métaphorique, puisque nous devons suivre littéralement avec lenteur la lenteur d'un corps. Alors que nous ne prêtons plus attention à notre propre corps lorsque nous visionnons des films, tant la chose nous semble uniquement passer par les yeux, par son calme et sa temporalité distendue, l'œuvre de Friederike Pezold nous rappelle soudain que notre corps est pourtant présent dans ce regard porté sur la colonne. Nous devons alors faire un effort de concentration mentale et physique pour non seulement accepter que les mouvements du corps puissent être ralentis, mais que notre corps et notre vision soient eux aussi enveloppés dans une attention extrême, pourtant infime et simple, qui serait en dernière instance notre véritable rythme. Mais Friederike Pezold ne nous présente pas seulement une " déesse électronique " à la gestuelle envoûtante, qui cherche à réduire la vitesse de la perception et de la pensée pour que nous puissions, simultanément, mieux l'observer et mieux nous auto-percevoir ; elle mêle aussi la peinture et la sculpture dans une œuvre relevant apparemment des nouvelles images. Certes, peinture et sculpture sont en mouvement. Mais la simple indication du titre, ainsi que les mouvements de l'exécutante, font assurément penser à des tableaux de Klimt, ou à des sculptures de Rodin et de bien d'autres plasticiens, non pas tant à cause des formes mêmes du corps du modèle électronique que de la lenteur (et non de la fixité) qu'évoquent ce genre d'œuvres.


 


Jacinto Lageira