Cargo, 2001

Betacam numérique PAL, couleur, son


Laura Waddington, réalisatrice de documentaires – fictions, traite dans son travail des différentes formes de déplacement, de l’absence de liberté et des frontières.
En 2000, le Festival International des Films de Rotterdam lui commande une vidéo dans le cadre du projet « On the Waterfront », des documentaires produits par dix réalisateurs dans différents ports du monde. Elle décide de rejoindre plusieurs ports dans un cargo sillonnant l’Europe pour se rendre au Moyen-Orient avec un groupe d’une trentaine de marins philippins et roumains. Après s’être confrontée à un premier refus, elle finit par embarquer en été pour une immersion de six semaines. Sa caméra lui permet d’infiltrer, de filmer la vie de l’équipage et de lieux non autorisés
A l’issue de cette expérience et d’une soixantaine d’heures de rush, Laura Waddington réalise une vidéo qu’elle souhaite à la frontière entre la fiction et la réalité. Elle montre en effet les conditions de travail des marins, mais l’utilisation de la voix off narrative permet au spectateur de prendre un recul par rapport au concept de réalité filmée. Il était important pour elle que le public s’interroge sur la véracité de la narration. Ainsi certaines contradictions sont volontaires dans le discours de la voix off, témoignage de l’expérience qui prend la forme d’une lettre adressée à un homme.
A travers un travail sur le temps, les cadrages, les couleurs et la voix off, l’artiste relate le quotidien des marins soumis à un règlement très strict. Ils n’ont pas la permission de quitter le bateau et passent la plupart de leur temps à attendre les consignes de bord, ne connaissant pas leur parcours par avance. Les images accompagnées d’une musique discrète aux accents dramatiques du compositeur anglais Simon Fisher Turner sont ralenties et saccadées. Ce rythme et l’absence de fluidité dans les images expriment l’étirement du temps sur le cargo et comment ce temps, à bord, n’est pas un écoulement perpétuel et organisé, mais une succession de temps figé sans aucune visibilité sur l’avenir. Certains pays traversés sont très hostiles, notamment la Syrie, où les ports sont des zones militaires dans lesquelles toutes prises de vue sont interdites. C’est depuis l’un des hublots du cargo que l’artiste saisit des images volées d’un homme ramassant du bois, d’un autre pêchant, accroupi sur un vieux sous-marin, de femmes dans des postures d’attente. Telle une signature et le témoignage de sa présence, le reflet de Laura Waddington sur les eaux traversées par le cargo apparaît à la fin de la vidéo.


Priscilia Marques