1937, 2007

Betacam numérique PAL, couleur, son stéréo


 1937  est une vidéo en deux parties qui peuvent être projetées simultanément sur deux écrans distincts ou bien vues en projection l’une après l’autre. Chaque partie est traitée de façon très différente : le chapitre 1 ressemble à un rêve sans commentaire ni dialogue, le second entrelace le témoignage d’une vieille dame doublée par une voix en français, des images d’archive et quelques plans du chapitre un. Le sujet de cette vidéo est la mémoire et comment en rendre compte et la transmettre, entre souvenir intime et Histoire officielle. La vieille dame, Nora Dabagian, fait le récit de l’arrestation de son père, déclaré « ennemi du peuple » par l’appareil stalinien, en 1937 à Erevan. Nora Martisosyan, tout en séparant les deux régimes de récits, l’un plutôt fictionnel, l’autre plutôt documentaire, réussit à faire circuler l’émotion d’un registre à l’autre. L’émotion qu’exprime la voix qui se souvient, qui témoigne en faisant remonter son histoire intime dans le présent, trouve un écho dans des images et des sons au plus près des sensations tactiles. Images solaires, estivales, de corps féminins tout en osmose avec une nature complice, sensuelle, généreuse, fleurie, grouillante de vie. Une possibilité de Paradis sans doute. Plus tard c’est une séance de « torture » enfantine, le brossage des cheveux, qui est filmée sur une balançoire qui grince. La bande son restitue au plus près cette palette sensorielle en superposant, sur les plans différents, des bruits d’eau, d’insectes bourdonnant, de voix mêlées en écho, de souffles, de portes qui claquent. Un drame a lieu, on le sent sans qu’il ne soit raconté. Pas de commentaire, pas d’explication : l’image et le son portent tout. Comment témoigner d’une séparation, d’une perte, du vide que cela produit ? La violence de la purge est évoquée par les arrêts de son brutaux, par ce qui s’échappe des corps sans contrôle, par cet univers presque exclusivement féminin que Nora Martirosyan met en scène, ici comme dans l’ensemble de son travail. Comment l’histoire s’inscrit-elle dans les corps, dans les chairs, dans la nature ? Comment s’approprier cette histoire et la confronter à l’histoire officielle, celle de la propagande de ces années-là, celle qui nie les purges ? Cette propagande est montrée, prélevée dans les journaux publiés en 1937 et des images documentaires tournées entre 1937 et 1940, trouvées aux archives cinématographiques arméniennes. Le frottement des images suffit, non pas à régler son compte à l’histoire, l’artiste n’est pas historienne, mais à suggérer, en passant par la mise en jeu des sensations portées par l’image et le son, comment l’histoire marque les corps. La caméra, appareil à enregistrer et donc à fabriquer de la mémoire, est ici utilisée à la manière des meilleurs documentaristes ; la mise en scène des acteurs – au sens propre du terme – et de la lumière, vient de la peinture et du cinéma de fiction, de Renoir à Egoyan . La vidéo de Nora Martirosyan relie tous ces « genres » autour de la voix ténue de Nora Dabagian, son «autre» qu’elle double.


Françoise Parfait