Action, 2003

Bande vidéo Betacam numérique PAL diffusée sous forme de fichier numérique, 4/3, noir et blanc, son
6 min 25 s


Action est une vidéo en noir et blanc réalisée par Halida Boughriet, artiste française d’origine algérienne. Il s’agit d’une performance réalisée dans les rues de Paris, qui prend son origine à la fois dans certaines pratiques artistiques des années soixante-dix pour qui la ville – l’espace public– est un territoire à investir (André Cadéré, Les Levine, Valie Export, Daniel Buren etc.), mais aussi plus avant dans l’usage de la dérive pratiquée par les Situationnistes* dont elle serait une variation.


Le dispositif est simple. Il s’agit pour l’artiste de marcher dans la rue et d’établir – de provoquer - un contact avec les passants en les touchant avec la main. L’action est filmée par une caméra qui la suit à courte distance, dans une proximité qui peut rappeler l’urgence signifiée avec laquelle sont filmés certains reportages de télévision. On peut penser au début de la bande qu’il y a identité entre ce que filme la caméra et l’œil de l’artiste dans la mesure où l’image a la mobilité du regard. Mais cette hypothèse se trouve contredite au plan suivant par l’entrée de l’artiste dans le champ de la caméra. Il faut noter la radicalité du cadrage qui ne considère que les corps, en rupture avec la bonne pratique cinématographique. La caméra filme l’artiste de dos et ne montre pas les visages, sauf par accident. Tout se passe dans le déplacement et dans le geste.


Il faut noter également – car ce sont déjà des signes- les différents rythmes mis en place à l’image : la mobilité heurtée du filmage, le pas presque dansé de l’artiste et le pas pressé des passants. Le son de la bande n’est pas le son du réel, mais une composition musicale électronique qui intervient en léger contrepoint avec l’action et ne cherche pas à être illustrative. Le cadre de l’image est centré sur les tentatives de l’artiste pour établir le contact, dans l’attente et l’incertitude de ce qui peut advenir. Ce geste est loin d’être anodin ou simplement théâtral. Le toucher étant le seul de nos sens qui soit réflexif- on ne peut toucher sans être touché - cette action vise par conséquent à provoquer l’établissement d’un canal de communication entre l’artiste et le passant.


En opérant par là une transgression manifeste de l’interdit social du toucher - on ne touche que ses proches - Halida Boughriet rend manifeste par opposition la manière dont les préceptes sociaux sont incorporés, et indique par là la soumission du corps social aux règles générales. Elle se situe de manière paradoxale entre la résistance et l’offensive en tentant de fissurer le masque social dans la rue, lieu par excellence de l’adhésion au collectif. Les réponses des passants à l’artiste sont éloquentes quant à la réalité des relations à l’autre dans les sociétés contemporaines : indifférence ou rejet, plus rarement ouverture et contact. Ce que construit l’artiste en mettant en place cette situation, c’est le dépassement et la perturbation du système. Il s’agit par conséquent d’un geste politique assumé, à l’instar des situationnistes pour qui la pratique de la dérive visait à générer des situations permettant d’aller au-delà des chemins appris.


Etienne Sandrin, mai 2012


*Le situationnisme est un mouvement contestataire philosophique, esthétique et politique incarné par l'Internationale Situationniste, "plate-forme collective", fondée en 1957. Dans son document fondateur, Rapport sur la construction de situations..., Guy Debord (1931-1994) exprime l'exigence de "changer le monde" et envisage le dépassement de toutes les formes artistiques par "un emploi unitaire de tous les moyens de bouleversement de la vie quotidienne".


* La dérive se définit comme une technique du "passage hâtif à travers des ambiances variées" (Guy Debord, 1956). Ce comportement expérimental lié aux conditions de la société urbaine vise à repenser les contraintes de la ville pour la réinventer. Il n’estion de plan de route ni même d’une promenade mais d’une façon d’évoluer dans la ville tout à fait nouvelle qui ne suivait aucun schéma préétabli. Ce n’était pas non plus un parcours purement aléatoire mais une forme de "hasard contrôlé", où le fait d’arpenter les rues durant de longues heures sans destination était une façon de provoquer les occasions de contacts avec de purs inconnus.